Célestin DERAY

Au cours de la journée du jeudi 8 janvier 1910, un marginal errait dans le quartier Saint-Merri à Paris (Ive), à la recherche d’agents de police des moeurs.

Libéré de prison le 15 décembre dernier après avoir écopé d’une peine d’un mois ferme pour délit de vagabondage spécial, et non-respect d’une interdiction de séjour liée à ses activités de proxénète, Jean-Jacques Liabeuf, vingt-quatre ans, espérait se venger des policiers l’ayant appréhendé.

Incapable de retrouver la trace des inspecteurs Maugras et Vors contre lesquels il tenait cette rancune tenace, il gagnait vers les sept heures du soir le débit de vins Aux Caves Modernes, au n°12 de la rue Audry-le-Boucher.

Après une longue libation, il laissait entendre au public qu’il allait « dégringoler du flic » et exhibait fièrement une arme de poing et deux tranchets de cordonnier solidement aiguisés.

Particulièrement déterminé, Liabeuf s’était spécifiquement fait embauché chez un cordonnier de la rue de l’Orillon, afin de confectionner des bracelets hérissés de pics destinés à empêcher les policiers de le maitriser.

A l’angle de la rue Quincampoix, la présence des agents en civil Deray et Fournès, sollicités par un consommateur inquiet des agissements de Liabeuf, finit par provoquer une clameur.

Alors qu’il quittait l’établissement, dissimulé sous une pèlerine, les deux agents vinrent le saisir aussitôt.

Ils constataient avec stupeur que le malfaiteur était porteur des fameux brassards à pointes hérissées et se blessaient les mains.

Pendant le corps-à-corps qui suivit, Liabeuf portaient plusieurs coups de tranchet aux agents. Il éventrait l’agent Deray, et lui tirait dessus à deux reprises.

Quatre gardiens de la paix arrivés en renfort découvraient l’horrible scène et tentaient aussitôt d’interpeller le forcené qui s’engouffrait dans le hall du n°6 de la même voie.

Ils y découvraient l’agent Fournès, grièvement blessé d’un coup de tranchet à la gorge.

Alors qu’ils progressaient dans un couloir, les policiers furent pris sous le feu. Les agents Boulot, Hedembaight et Vandon furent légèrement blessés.

L’agent Février portait aussitôt un coup de sabre-baïonnette dans la poitrine du forcené, qui tentait alors de recharger son revolver.

Ses bracelets aux pointes acérées compliquèrent son interpellation mais il finit par être maitrisé totalement.

Liabeuf fut emmené jusqu’au poste de police de Saint-Merri, malmené par une foule ivre de colère. Le gardien de la paix Célestin Deray, quarante-huit ans, succomba à l’Hôtel-Dieu le lendemain, vers cinq heures du matin.

Avant son décès, il avait reçu, des mains du Préfet de police, la médaille d’honneur de première classe en or, que le Gouvernement lui avait accordée.

De son côté, le gardien de la paix Lucien Fournès recevait la médaille de vermeil.

Soigné également à l’Hôtel-Dieu avant d’être écroué à Fresnes dans l’attente de son jugement, durant toute l’instruction, Liabeuf confirma qu’il avait bien prémédité son acte, confectionné des armes, et cherché à tuer les agents Maugras et Vors.

Le 4 mai, au terme d’un procès très attendu du public, le jury de la cour d’assises de la Seine condamne Liabeuf à la peine de mort.

Défendu par le journal La Guerre Sociale dont le directeur prône l’insurrection ouvrière, il bénéficia alors d’une aura de martyr dans le milieu anarchiste.

Le 1er juillet 1910 dans un contexte très tumultueux ; la peine fut exécutée Boulevard Arago, aux pieds de la prison de la Santé.