Mémorial des policiers français Victimes du Devoir

« Il y a quelque chose de plus fort que la mort,
c’est la présence des absents dans la mémoire des vivants. »

Jean d’ORMESSON

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Sous-Brigadier

Bernardin VINCENSINI

Victime du Devoir le 26 février 1871

Département

Paris (75)

Affectation

Service de la Sûreté (1832-1913)

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Circonstances

Cause du décès

Assassinat, exécution ou extermination

Contexte

Maintien de l'ordre — Service d'ordre

Au cours de la journée du dimanche 26 février 1871, la population parisienne vivait dans un état d’exaltation extrême. Accélérée par une défaite humiliante dans la guerre menée contre la Prusse, la fin du second empire fit place à une IIIème République proclamée sans véritable dessein politique.

Tout juste élu chef du pouvoir exécutif, Adolphe Thiers concluait d’âpres négociations avec Otto Von Bismarck, dans le cadre du traité préliminaire de paix voyant le territoire français amputé de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine.

Le traité concédait également le désarmement de la garde nationale afin que les prussiens puissent marcher victorieusement dans certains quartiers de Paris jusqu’à sa ratification.

Mais une rumeur prétendit que l’ennemi allait s’emparer de la capitale. Une foule surexcitée se pressa sur la Place de la Bastille, où des manifestations avaient lieu depuis plusieurs jours.

La crainte d’une restauration monarchique était toujours prégnante, aussi, le drapeau rouge républicain fut hissé ostensiblement sur la colonne de juillet où les délégués de la fédération de la garde nationale exhortaient la population à prendre les armes pour résister contre l’entrée de l’ennemi prussien.

Constituée de citoyens-soldats issus de tous les faubourgs, la garde nationale était depuis la défaite, seule maitresse de Paris ; laissée à la disposition d’ambitieux interlopes qui n’ignoraient pas qu’elle contenait plusieurs milliers de repris de justice. Quatorze de ces bataillons étaient présents sur la place, soit une vingtaine de milliers d’hommes.

Dissimulés parmi la foule, deux agents de la Sûreté avaient pour instructions de transmettre heure par heure des notes de l’évènement à la préfecture de police. Encore associée au régime du second empire, la police concentre à cette période toutes les haines les plus féroces.

Imitant la foule qui crie “Vive la République!” en levant son chapeau, l’agent Bernardin Vincensini, quarante-cinq ans, fut approché par un individu qui l’identifia et lui déclara : “Comment toi, un corse et ancien agent du château, tu as l’impudeur de crier cela ?”.
Presque immédiatement, les deux agents furent assaillis par une horde de forcenés et reçurent une grêle de coups de pieds et de poings.

Le collègue de Vincensini parvint à se dégager rapidement, mais ce dernier fut ciblé plus particulièrement et poursuivi jusque dans un débit de tabac au N°205 Rue Saint-Antoine.

Arraché de son asile, le policier fut frappé avec cruauté alors que l’on réclamait à cors et à cris sa mise à mort. Accablé de coups et meurtri, Vincensini fut trainé jusqu’au poste de la Bastille, et présenté comme un mouchard encore au service de l’empire au lieutenant Coquet du 94e bataillon de la garde nationale.

L’officier fit aussitôt fermer les grilles du poste et plaçait Vincensini en cellule, pour sa propre sécurité. Une vingtaine de forcenés ayant pu rentrer réclama qu’il soit fusillé, ce que refusa catégoriquement l’officier.

La foule devint de plus en plus furieuse et entama un assaut pour faire rouvrir les grilles. Coquet et ses adjoints furent également menacés de mort alors qu’ils tentaient un subterfuge pour laisser s’échapper Vincensini.

Ne voyant aucune chance de salut, le policier finit par demander à l’officier de se livrer lui même. Toujours maltraité, Vincensini fut escorté par une foule ivre de fureur par le boulevard Bourdon jusqu’à la jonction de la Seine.

Tandis que l’on décidait de son genre de mort, une certaine hésitation favorable à la victime semblait se dessiner. Mais les vociférations plus particulières d’une femme publique, et de trois gardes nationaux du 21e bataillon donnaient le ton inverse.

Les origines corses communes au policier et à la famille Bonaparte furent mises en parallèle. Juchée sur un banc, la jeune femme qui n’était autre qu’une rôdeuse du Faubourg-Saint-Antoine, appellait à jeter le “sergent de ville à l’eau!” avant de lui cracher au visage.

Un groupe, composé de l’artilleur et des deux chasseurs, saisit Vincensini et l’emmena sur les berges du Quai Henri-IV. Les suppliciers lui ligotèrent les membres, l’attachèrent à une planche et le jetèrent à l’eau.

Contre toute attente, le vigoureux policier, bon nageur, parvint à défaire ses liens mal serrés. La scène ne fut pas du goût de l’assistance hystérique répartie sur le quai.

Parmi la centaine de personnes présentes, certaines se mirent à le lapider avec des débris trouvés le long du quai. Bien que blessé, Vincensini parvint à atteindre à la nage l’estacade de la pointe de l’île Saint-Louis, où le pilote d’un bateau-mouche tenta de lui venir en aide en lui jetant une bouée.

Il fut aussitôt menacé et assailli par la foule qui venait le surplomber. Tandis que Vincensini tentait d’agripper le bois mouillé de l’estacade, un individu lui portait des coups de perche, un autre vient lui briser une brique sur la tête.

Son corps finit par sombrer pour ne plus jamais reparaître. Le 9 juin, un charretier qui se trouvait sur la berge du Quai d’Orsay retira son corps du fleuve.

Non reconnus, les restes de l’infortuné policier furent transportés à la Morgue et de là au cimetière des hôpitaux (Ivry-ancien), où ils furent inhumés le 15 juin suivant.

Reconnus le 15 septembre, ils furent exhumés le 17 octobre de la même année et déposés dans une concession décennale au cimetière de Boulogne-sur-Seine.

On les exhuma de nouveau, le 12 décembre 1876, pour leur donner une sépulture définitive dans un caveau de famille construit dans le même cimetière (5e division, a0 42).

Une longue et minutieuse enquête, nourrie de témoignages particulièrement précis, permit d’identifier six individus, convaincus de violences sur agent de la force publique avec intention de donner la mort, et assassinat sur agent de la force publique.

La femme identifiée comme une prostituée décédait pendant sa détention provisoire ; quant aux soldats du 21e bataillon de la garde nationale, il furent tués dans les combats de mai 1871 contre l’armée régulière.

Le 25 août, à la suite des évènements de la Commune, fut votée la dissolution des gardes nationales dans toutes les communes de France.

L’article 6 de la loi du 27 juillet 1872 prévoyait que « tout corps organisé en armes et soumis aux lois militaires, fait partie de l’armée et relève du ministère de la guerre ». La garde nationale était ainsi définitivement supprimée.

Le 26 février 1874, le 18e conseil de guerre de la 1ère division militaire, compétent en matière insurrectionnelle, condamnait à mort Émile Bonnard, quarante ans, et Pierre Hubert Pélata, vingt-sept ans, pour leurs rôles actifs dans l’assassinat du sous-brigadier Vincensini. Le recours formulé fut rejeté le 16 mars et le pourvoi en cassation rejeté le 10 avril de la même année.

Le 30 mai, la peine de Pelata fut commuée aux travaux forcés à perpétuité en colonie pénitentiaire de Nouvelle-Calédonie ; il sera finalement gracié du restant de sa peine en 1880.

A l’aube du 6 juin, Bonnard fut transporté de la prison de la rue du Cherche-Midi vers le polygone du bois de Vincennes, où il fut fusillé. Cet ancien lieutenant des fédérés de la Commune de la 4e légion, délégué à la mairie du 4e arrdt était l’un des plus ardents à traquer et punir les réfractaires, vantant sans cesse son crime.

Biographie

Direction d'emploi

Préfecture de Police

Corps

Inspecteurs — Enquêteurs

Type d'unité

Unité d'Investigation et de Recherche

Né le 12 décembre 1825 à Serragio (Corse) de Pierre Vincensini et Marie Françoise Fabiani, époux de Michelle Hélène Jeanne Lambquin ; domicilié N°9 Place Dauphine à Paris (IVe).

Bernardin Vincensini fut nommé sergent de ville le 1er novembre 1854, puis inspecteur de police le 1er juillet 1857. Promu sous-brigadier d’inspecteurs le 10 mars 1866, il fut attaché, en cette qualité, à la brigade du Bois.

Promu au service de Sûreté le 17 septembre 1870, il fut licencié le 31 octobre suivant par le gouvernement provisoire désireux de purger l’ensemble des effectifs de la police parisienne.

Confronté aux difficultés du recrutement de nouveaux agents expérimentés, Bernardin Vincensini fut rappelé à ses fonctions à la Sûreté le 16 janvier 1871.

Inhumé dans un caveau familial au cimetière de Boulogne-sur-Seine.

Sources et références

Arch. Dép. Paris (IVe), D, acte 1871-4326
Les énigmes d la guerre de 1870 et de la commune, éd de Crémille, Genève – 1970.
Le Pays du 16/04/1873, “Faits-divers”
La Petite Presse du 07/06/1874, “Exécution de Bonnard, le meurtrier de Vincensini”
Journal des commissaires de police : recueil de législation, de jurisprudence […], année 1874, pages 179 à 189
Répertoire du commissariat du Gros-Caillou (9 juin 1871).
Répertoire du commissariat du quartier Notre-Dame (15 septembre 1871).

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